Et un autre premier mai
Quelques mots sur la fin du mois d'avril en ces temps incertains de pandémie.
Je n’arrête pas de rêver que toutes mes théières se brisent irréparablement. Rêve angoissant qui accentue la manière que le thé, plus que jamais, est devenu un pilier de mes journées. Le matin, avant toute autre tâche, je me prépare un pot de thé (je dévalise mes réserves de gyokuro, sencha, pu-erh, wulong…) Si je suis de bonne humeur, avec un peu de musique ou de radios dans mes écouteurs, j’ouvre mon journal et je commence avec une plume dans une main et une tasse de thé dans l’autre. Si je suis de mauvaise humeur, la même chose. L’après-midi et le soir, je passe du thé aux tisanes. Mes tisanes préférées sont épicées, avec des fleurs de shiso ou du cardamome, qui dégagent les sinus et m’aident à contrôler mes allergies saisonnières.
J’essaie de ne pas gaspiller tout mon temps devant l’ordinateur, mais c’est dur. Un gros changement positif au rythme quotidien est que je passe beaucoup moins de temps à regarder les nouvelles. Je suis assez de journalistes sur Twitter que je n’ai pas vraiment peur de manquer des trucs importants (quand je peux, je regarde cette liste), et j’essaie de limiter mon temps sur tous les réseaux sociaux en général. En revanche, j’écoute plus de balados qu’avant, quand rester seulx avec mes pensées et la musique devient pénible. Celui qui m’a vraiment marqué cette semaine: la deuxième saison de la série audio gatinoise Synthèses sur le meurtre de Louise Chaput au mont Washington. Le true crime mais sans le dérapage sensationnaliste qui caractérise ce genre à l’américain. Un autre podcast que je réécoute en ce moment est la série très informative new-yorkaise Talking Tea Podcasts avec Ken Cohen, que je suggère fortement pour les grands amateurs du thé.
(En passant, si t’as des conseils de balados je t’écoute! Après des années où je trouvais ça assez difficile de consacrer toute mon attention sur les balados, il semble que je me suis finalement habituée à leurs rythmes.)
Pendant la journée, Leif et moi partageons notre petit espace tant bien que mal sans trop s’enfarger dedans pendant qu’on travaille. Le plus difficile c’est de négocier l’espace quand l’un de nous a beaucoup de téléconférences ou d’appels en même temps. L’appartement est petit, et on a pas de portes entre les « pièces » pour se donner de l’espace. Il y a bien sûre des moments où j’aimerais avoir moins d’interruptions et de distractions, mais j’accepte bien ce casse-tête organisationnel quand je pense que dans un timeline alternatif, je pourrais être sur le point de commencer cette huitième semaine en isolation sans que quelqu’un d’autre soit physiquement présent avec moi.
La nuit, tard, Leif et moi sortons ensemble pour marcher les parcs, ruelles ou terrains vagues près de chez nous. On aime bien les nuits venteuses avec un soupçon de pluie: les gens restent chez eux, et on a l’impression d’être seuls dans de grands espaces entièrement à nous. Quand on s’en va dans le coin du parc Laurier et que les rafales branlent les grosses branches des immenses érables argentées comme s’ils étaient des brins d’herbe, le son de ces gros arbres qui fléchissent ressemble aux bruits de vagues déferlantes. Et il y a si peu de voitures et de pollution acoustique dans les rues qu’on peut entendre les trains qui longent rue des Carrières au nord de nous, même quand on a plus d’un kilomètre de distance de la voie.
La fin de semaine passée, j’ai vu ma mère pour la première fois en sept semaines à une distance de deux mètres. Elle est venue chez nous ramasser un thermomètre qu’on allait envoyer par la poste à un membre de ma famille qui est malade à New York City, où il est apparemment impossible de trouver ou de commander des trucs de pharmacie ou de trucs de base pour la maison, comme les thermomètres.
Parce que j'étais sur le bord de craquer, j'ai demandé à Leif si on pouvait s'évader quelque part sur l'île pendant la journée samedi dernier. J'avais vraiment besoin de sentir l'odeur de la terre et de voir un paysage moins familier. On a trouvé un petit marais et terrain boisé isolé près d'un autoroute, où on a pu marché en paix au soleil pendant quelques heures. On a vu toutes sortes de plantes et d'oiseaux, et même une couleuvre verte superbe. Malgré les sons de l'autoroute, c'était formidable de pouvoir bouger un peu sous le soleil.
Je pense beaucoup et avec tristesse aux objectifs que je m’étais fixée le printemps dernier. J’avais commencé à travailler sérieusement sur un manuscrit que j’ai vraiment délaissé. Je sais logiquement qu’on est en train de passer par un traumatisme collectif important, mais c’est quand même décourageant d’avoir un paquet de temps à remplir et très peu de volonté pour affronter des projets pour lesquels j’ai manqué tant de temps il y a juste quelques mois.
Donc je réapprends à célébrer les tous petites victoires, comme mon petit accomplissement de la semaine passée quand j’ai réussi à terminer mon premier projet de couture. Ça m’a redonné pas mal d’énergie, et même si je ne suis pas capable d’évoquer la volonté nécessaire pour mes projets d’écriture, je peux toujours me concentrer sur d’autres choses en attendant que mon « esprit d’atelier » (ma discipline, mon équilibre, mon courage) me revienne.
Côté lecture, ça commence à me revenir puisque j’ai tellement besoin de faire autre chose que de m’abrutir devant les écrans. J’ai enfin terminé Le drame de l’enfant doué de Alice Miller, qui m’a été conseillé il y a quelques mois par Meghan Bell. Le livre est sur la psychanalyse et est sorti dans les années 70. À part un ou deux bouts un peu démodés, le livre est très intéressant et à mon avis encore pertinent, discutant les dynamiques de l’abus émotionnel des enfants. La partie la plus intéressante du livre pour moi était les sections qui se concernait sur la manière dont le cycle de l’abus se recréé à travers les générations.
Je suis aussi en train de lire deux nouvelles de science fiction suggérées par mon ami O. La première est The Desert Glassmaker and the Jeweler of Berevyar de R.B. Lemberg qu’on peut lire sur le site Uncanny Magazine. La deuxième est de l’écrivaine Amal El-Mohtar, The Truth About Owls qui peut être lu sur Strange Horizons. J'ai trouvé The Truth About Owls particulièrement envoutant, et en quelques paragraphes la nouvelle me replongeant dans mes propres sentiments et feelings d'enfance. C'est pas la première fois que je trouve le travail d'écriture d'El-Mohtar particulièrement réussi. J’ai lu le livre épistolaire de science fiction This Is How You Lose The Time War d’Amal El-Mohtar et Max Gladstone ce février et je l’ai a-do-ré ! Merci encore à O pour toutes ses excellentes recommandations.
Et nous voilà au mois de mai. Ce matin était pluvieux et gris, et un peu triste, mais des minuscules bourgeons verts apparaissent finalement sur les lilas devant chez nous, et on a plus que quelques semaines de printemps gris avant que l’été surgit. Je ne suis pas triste de voir un autre avril partir. Il s’est écoulé trop lentement et trop rapidement. Et, je vais bientôt pouvoir m’installer confortablement sur le balcon et profiter d’un peu d’air frais de cette façon !
Merci d’être resté avec moi pendant quelques moment. Santé et solidarité pendant cette journée internationale des travailleu∙ses∙rs, camarade.