Gérer une condition chronique est un boulot à temps plein complètement merdique
Personne ne m’a expliqué comment fonctionne l’endométriose, les causes possibles, ses enjeux, les choix de traitement (pas en détail, en tout cas!), ni comment la condition évolue sur le long terme. Et quidam n’a mentionné de réparation!
Depuis le mois de septembre, je suis en mode « recherche-et-optimise », causé par un nouveau diagnostic d’endométriose qui éclaircit plus de 15 années de symptômes graves. Selon les standards renouvelés de prise en charge du diagnostic décrits par la Haute Autorité de Santé Française*, il semble que je rentre plutôt bien dans les « périodes de vie » décrites à la page 113 (dans la section «Attentes des femmes atteintes d’endométriose : Quelle information apporter ?») — les soulignements sont les miens:
- Annonce du diagnostic: «Être reconnue, comprendre la maladie, comprendre pourquoi on a mis tant de temps à en faire le diagnostic (réparation) et envisager l’avenir»;
- Le choix du traitement: «Comprendre les enjeux et la stratégie et être active dans ce choix»;
- La récidive: «Être soulagée, comprendre les stratégies possibles, envisager des alternatives et être accompagnée»;
- La maladie chronique: «Comprendre l’évolution de la maladie et retrouver le contrôle sur sa maladie».
C’est bien beau tout ça, mais minute. Je n’ai pas d’accompagnement dans ce parcours. Personne ne m’a expliqué comment fonctionne l’endométriose, les causes possibles, ses enjeux, les choix de traitement (pas en détail, en tout cas!), ni comment la condition évolue sur le long terme. Et quidam n’a mentionné de réparation!
Non, depuis le mois de septembre, c’est moi qui ai pris en main mon diagnostic. Le système de santé, au Québec comme ailleurs, chavire sous le dur choc d’une pandémie que tout le monde (ou presque) préfère oublier. Mon chirurgien — et ça fait plus de 5 mois que j’attends des nouvelles sur une chirurgie qui ne cesse d’être reportée à un nébuleux plus tard — quand j’ai réussi à lui parler au téléphone pendant un bon 10 minutes la semaine dernière, était choqué par mes questions directes sur mes médicaments, sur les possibilités de traitements, par les questions que se posait mon cardiologue (parce que bien sûr c’est moi qui doit prendre le rôle d’intermédiaire — qui d’autre pourrait le faire aussi bien que moi, avec toute ma grande expertise médicale?) C’est sous-entendu, difficile à prouver, mais le ton me semble toujours clair: le questionnement choque! Le fait que je lui ai demandé de rester au téléphone pendant quelques minutes supplémentaires pour répondre à mes questions? Hallucinant! Heureusement que ça fait une bonne douzaine d’années depuis que le chauvinisme médical a vraiment réussi à me choquer. (Aussi, faut pas se méprendre: c’est un des «bons» médecins! Il répond à mes messages!)
Mes cahiers de notes se multiplient. Je note consommation quotidienne d’AINS, mes doses de mes médicaments chaque jour, mes symptômes, la qualité de mon sommeil, mes niveaux de douleurs, les notes avant (parfois pendant) et après mes nombreux rendez-vous et appels. Je n'ai pas de médecin de famille. Je suis souvent avec de nouveaux médecins ou infirmières praticiennes, donc mes notes sont devenues indispensables pour assurer que tout le monde ait les informations pertinentes. Malheureusement, c’est encore à moi de juger ce qui est pertinent. Mon cas n’est pas simple, mon historique encore pire. Essayer de tout expliquer cause mon auditoire de balayer ce que je dis de côté. Surtout, je garde mon langage simple, je veux éviter qu’on me suspecte de googler mes symptômes ou mon diagnostic, ça passe mal. Perturbe les dynamiques patient.e-soignant.e à tes propres risques!
De plus, je revisite toutes les méthodes imaginables de gestion de douleur. J’ai un diagnostic précis à considérer: c’est maintenant clair que ce n’est pas les antidépresseurs (souvent prescrits pour la douleur) et l’exercice physique qui vont tout résoudre. J’ai sorti mes vieilles références d’herboristerie. J’ai appelé une acupuncturiste. Dans mon temps libre, j’essaie de comprendre les mécanismes de l’inflammation dans le corps, et comment la douleur devient chronique. À part ma lecture, j’ai un régime strict de cours de ballet, d’étirements, de médicaments, de marche, de AINS, d’alimentation, de thés, de tisanes, de bains à la température aussi élevée que ma pauvre chaudière peut produire, de sommeil, tout pour gérer la douleur. Le moment que quelque chose interrompe la routine, c’est un peu comme jouer la roulette: flare-up inconfortable ou insupportable? Pendant quelques jours ou deux semaines? C'est le fun en tout cas quand t'as des tâches domestiques à faire, des proches qui ont besoin d'attention, une clientèle au travail à gérer...
Mes conditions chroniques sont une job à plein temps et il y a des jours où ça m’écrase. Oui, comme j’ai écrit au mois de février, mes niveaux de douleur sont beaucoup plus « gérables » qu’avant. Mais je dévoue un temps fou à ménager tous mes bobos. Pour chaque heure d’activité ou de travail sédentaire, facilement 2 heures de récupération sont à prévoir. Le nombrilisme inhérent dans tout ça me ronge, j’ai toujours la culpabilité que je me dévoue trop d’attention. Il y a un aspect de fatigue cérébrale, aussi. Je peux lire toutes les études à la noix** que je veux sur l’endométriose, mais je suis sans pouvoir. L’impuissance use, use, use.
Huit mois après mon diagnostic, je me retrouve face à un type d’épuisement que je reconnais bien: le devoir de se gérer à la minute près, sans savoir quel sera le caillou qui fera tout dégringoler, sans avoir accès à un soutien médical adapté ou bienveillant. Mes outils pour confronter cette fatigue sont malheureusement les mêmes que sa cause: patience, observation, optimisation. Avec un peu de chance, la stabilité d’une presque-routine d’énergie-écroulement me permettra de rêver à non seulement subir mais à possiblement pousser un peu contre mes limites. Je n’ai qu’à regarder où j’étais en avril 2021 pour constater que même si l’épuisement et le stress sont restés, il y a quand même eu des améliorations nettes à ma qualité de vie. C’est un des gros positifs d’un diagnostic: même quand on n’a pas l’appui que l’on mérite d’un système de santé bienveillant, même quand le fardeau mental est parfois écrasant, au moins — au moins! J’ai une aire de vent!
* Je n'ai rien trouvé de semblable pour le Québec donc on me permet de regarder vers une autre juridiction pour apprendre les critères de prise en charge (au moins en théorie).
** J'étais au fait en train d'écrire un billet sur ce sujet, au début, mais le billet s'est transformé en coup de gueule! Par contre, j'aimerais revenir là-dessus bientôt.