Pourquoi je continue de porter un masque, même si personne autour de moi le fait
De plus en plus, je veux que le port du masque devienne un geste radical de solidarité, d’amour, et d’espoir.
Depuis le début de la pandémie, de nombreux messages circulent autour de la covid-19. Certains ridicules, mais de temps en temps, certains qui sont aussi pas mal bons. Un message que je voyais souvent — mais beaucoup moins depuis un certain temps — est celui-ci: « porter un masque, c’est principalement pour protéger les autres ». C’est un appel à nos meilleurs instincts de solidarité et d’amour pour nos communautés.
Quand je prends le métro ou que j'attends dans la salle d’attente de ma dentiste, encore une fois la seule personne portant un masque, c’est le message auquel je pense le plus. Tu ne portes pas le masque pour toi, tu le portes pour les autres.
Récemment, après une classe de danse, lorsque je me changeais rapidement dans le couloir du studio pour ensuite aller courir au travail, une autre adhérente m’a regardé et m’a demandé, d’un ton méprisant: « Pourquoi portes-tu encore le masque? » Ça fait des mois que je suis l’unique personne dans mes cours de ballet qui porte encore un masque, mais la question, posée dans ce ton hostile et moqueur, a réussi à pénétrer mes défenses. De plus, ma réponse, un court (incrédule) « à cause de la covid ? » n’a clairement pas impressionné mon interlocutrice. Je ne vais pas gaspiller de temps en décrivant la suite de cette conversation, elle n’en vaut pas la peine.
Depuis cette interaction, il y a quelques semaines, je savais que je voulais écrire quelque chose sur mon raisonnement. Bien que je sache que sa question n’était que le premier tir de son mépris, qu’est-ce que j’aurais répondu si sa question m’avait été posée avec honnête curiosité? Quelles sont mes raisons pour le masque?
En court, voici quelques-unes:
- L'autodéfense sanitaire: la covid étant une maladie cardiovasculaire, j’appartiens à plus de quatre catégories sociales et médicales qui augmentent mes risques de conséquences difficiles si j’attrape la covid (incluant la covid longue). J’ai aussi déjà vécu deux périodes vraiment difficiles et disruptives causées par des virus. La première était causée par le virus Epstein-Barr entre l’âge de 17 et 19, et la deuxième, par le virus de la varicelle quand j’ai attrapé le zona à l’âge de 20 ans. La première fut caractérisée par des rechutes continuelles de mononucléose pendant deux années, affectant très profondément mon immunité et mon bien-être. Dans le cas du zona, ça a déclenché de la douleur chronique et des problèmes dans mon système nerveux très difficile à traiter et qui m’affectent encore aujourd’hui, douze ans plus tard. Côté virus, j’ai l’impression que j’en ai eu plus que ma part!
- Les masques sont loin d’être des outils parfaits, surtout ces minces masques chirurgicaux. Mais, quand on couvre convenablement son nez et sa bouche avec un masque, même les petits masques chirurgicaux peuvent devenir une mesure importante pour réduire les méfaits de la pandémie. S’il y a quelque chose dont on a collectivement besoin, en ce moment, c’est plus de réduction de méfaits.
- D’après mes connaissances qui ne portent plus le masque partout, on me dit que la pandémie a vraiment enseigné aux gens l’importance personnelle et sociale de rester à la maison quand on est malade. Mais il faut ne pas oublier que nous vivons dans une économie qui décourage ouvertement et implicitement les personnes malades de rester à la maison jusqu’à ce qu’elles (ou leurs enfants) soient complètement rétablies. Même si beaucoup de gens essaient d’être attentifs et responsables sans le masque, beaucoup d’autres ne peuvent pas se le permettre. Aussi: certaines personnes ne réaliseront pas qu’elles sont malades, pour toutes sortes de bonnes raisons. Un exemple que j’entendais beaucoup ce printemps passé: les gens qui ne réalisaient pas que leurs accablantes allergies saisonnières étaient, cette année, les symptômes de la covid. Mise à jour 2022/11/13: en pleine saison de rhume, de gastro, de VRS, avec le surachalandage des hôpitaux pour enfants — l'urgence du Children's à Montréal étant à 200% de sa capacité — et la pénurie de médicaments pour enfants au Canada, je ne crois plus aux gens qui me disent que la pandémie a enseigné à tout le monde les bonnes pratiques à suivre quand malade. Je raye donc ce 3e point, mais je le garde ici pour me souvenir de l'évolution de ma pensée.
- Voici ma raison la plus déprimante, mais je ne peux pas la contourner. J’ai passé pas mal de temps cette année dans de grands hôpitaux à Montréal. J’ai vécu directement la réalité des pénuries de personnel soignant dans les salles opératoires et postopératoires. Avec des urgences sinon fermées ou occupées à 200% ainsi qu’un manque grave d’ambulances et de professionnels de la santé de première ligne dans la province, je ne crois plus qu’il est exagéré de dire que le système public de santé chavire. Éviter le plus possible la covid ou la variole du singe ou même d’autres maladies graves est aussi pour moi un effort d’éviter le plus possible le système médical du Québec.
- Le gouvernement du Québec semble croire que rien n’est possible entre la « fermeture et le couvre-feu draconien » ou le « laissez-faire total, aussi draconien». Quand je continue de porter le masque, j’essaie de me comporter selon les normes de la communauté solidaire dans laquelle je veux vivre.
Rapidement, survolons quelques données obtenues sur le site de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
En comparant trois journées de cas de covid à travers les hôpitaux du Québec, au milieu du mois de juillet:
- Le 12 juillet 2020: 686 personnes hospitalisées hors soins intensifs, 102 en soins intensifs
- Le 12 juillet 2021: 152 personnes hospitalisées hors soins intensifs, 58 en soins intensifs
- Le 12 juillet 2021: 1724 personnes hospitalisées hors soins intensifs, 43 en soins intensifs
Aussi selon l’INSPQ, il y a actuellement 19 386 nouveaux cas confirmés de covid au Québec ce mois-ci (chiffre confirmé le 19 juillet 2022), mais l’INSPQ suggère que ce chiffre pourrait être (beaucoup) plus bas que ce qui circule réellement dans la population.
Quand j’entends dans mon entourage: « Personne d’autre ne porte un masque, alors le masque ne fait rien pour me protéger. » ou « J’ai attrapé la covid plusieurs fois et pour moi c’était juste une grippe. » ou même « Je pense que les nouvelles variantes sont moins dangereuses, selon ce que je vois quand les gens autour de moi tombent malades. » Je vous entends. Sincèrement. Mais je vais continuer de porter le masque le plus possible à l’intérieur, et à l’extérieur dans les foules. Est-ce que les masques sont inconfortables et même douloureux parfois, surtout l’été? Est-ce que les masques peuvent m'empêcher de communiquer effectivement? Oui. Mais jusqu’à ce que notre système médical se redresse pour de vrai, le port du masque ne me semble pas vraiment un choix. Et, bien que j’espère que le masque va me protéger un peu même quand personne autour de moi ne porte le masque, je le fais surtout pour créer la réalité dans laquelle je veux vivre. De plus en plus, je veux que le port du masque devienne un geste radical de solidarité, d’amour, et d’espoir. L’espoir de créer un monde dans lequel nous faisons toustes de notre mieux de se prendre soin les uns les autres, même quand c’est difficile ou incertain.
J’espère que mon raisonnement est clair. Merci beaucoup à chaque personne qui a lu jusqu’ici. Je l’apprécie énormément.
PS: Avant de conclure, je veux partager un lien vers la ressource sur Instagram de hannah harris-sutro « Towards A Collective Care Protocol for Queer Events in Pandemic Times » (« Tendre vers un protocole collectif de santé pour les événements queers à l’ère de la covid ») — la ressource est en anglais et vaut absolument le détour : https://www.instagram.com/p/CdO76W8pb4N/