Trois stratégies pour la rédaction non sexiste

Une petite introduction à trois stratégies de rédaction non sexiste : (1) la rédaction épicène, (2) la féminisation, et (3) la rédaction nonbinaire.

Trois stratégies pour la rédaction non sexiste

La rédaction non sexiste t'intéresse, mais tu ne sais pas par où commencer ? Ou, peut-être, guidé·e par les nouvelles graphies qui commencent petit à petit à se répandre sur les réseaux sociaux, tu cherches à mieux comprendre comment déjouer l'omniprésence du patriarcat dans notre langue ?

Je propose qu'on aborde ici une petite introduction à trois stratégies de rédaction non sexiste : (1) la rédaction épicène, (2) la féminisation, et (3) la rédaction nonbinaire. Même quand ils se chevauchent, je suis de l’avis que ces concepts sont distincts et ne sont pas nécessairement toujours interchangeables. Abordons !

La rédaction épicène

L'adjectif « épicène » signifie tout simplement : « qui conserve la même forme au masculin et au féminin ». Stratégie conseillée par l'OQLF et le Bureau de la traduction du Canada, la rédaction épicène applique la définition de l'adjectif de manière élargie à la rédaction d'un texte complet, et cherche à « dégenrer » le français le plus possible.

En général, une stratégie de rédaction épicène réussie suit la démarche suivante:

  • Abandonne la notion par défaut du « masculin générique »;
  • Est considérée dès le début de la rédaction d'un texte (et non à la fin comme étape corrective);
  • Priorise les formulations non genrées, comme par exemple: « la formation de l'équipe de vente » au lieu de « la formation des vendeuses et vendeurs »;
  • Comprend parfois des stratégies de féminisations, surtout les moins expérimentales, ou celles qui perturbent le moins la grammaire traditionnelle.
  • Parlant de féminisation, l'écriture épicène peut comprendre des doublets abrégés (voir l'explication dans la prochaine section) lorsqu'il est primordial d'économiser le nombre de mots utilisés (tel que dans les courtes annonces ou les publications sur Twitter).

La féminisation

Si la rédaction épicène cherche à minimiser ou dégenrer le français, la féminisation cherche au contraire à mettre de l'avant la féminisation lexicale et syntaxique pour contrer l'emploi générique du masculin et ainsi souligner la pleine participation et présence des femmes.

Il existe de très nombreuses stratégies de féminisation, la plupart encore en évolution. Voici quelques-unes de plus connues:

  • Accord de proximité des adjectifs;
    — Par exemple, avec « les étudiants et étudiantes qualifiées », l'adjectif « qualifiées » s'accorde avec le nom le plus proche, « étudiantes », au lieu de laisser le masculin l'emporter.
  • Alternance du féminin et du masculin dans un texte, une phrase, ou même les accords;
  • Doublets abrégés:
    — Par exemple, au lieu d’écrire « travailleur ou travailleuse », on écrit « travailleu·se·r » ou « travaill·eur·euse ». À noter que l'utilisation de la bulle ou point médian (·) au lieu du tiret (-), de la barre oblique (/) ou du point (.) est considérée plus avantageuse pour la lisibilité.
  • Adopter un générique féminin au lieu d'un générique masculin;
  • Les stratégies qui font recours aux formes et grammaires historiques (comme avec l’emploi de « philosophesse », la version féminine de philosophe délaissée au 17e siècle);
  • Des approches plus expérimentales employant des néologismes et nouvelles graphies, incluant ceux qui soulignent la mixité d'un groupe: « celleux » au lieu de « ceux et celles », « toustes » au lieu de « tous et toutes », « ielles » au lieu de « ils ou elles », etc. (Ces approches ont aussi l'avantage d'inclure les personnes dont le genre sort du binaire, comme nous le verrons dans la section suivante.)

La rédaction nonbinaire

Quand je parle de la rédaction nonbinaire, je veux la distinguer de la rédaction épicène (qui cherche, en général, à « neutraliser » le genre, souvent en le mettant à côté) et la féminisation (qui cherche à visibiliser les femmes en soulignant leurs présences).

La rédaction nonbinaire cherche donc à visibiliser et soulever la présence des personnes trans dont le genre sort des catégories homme/femme, souvent en s'appropriant des stratégies de rédaction épicène ou de féminisation. Et, dans les cas les plus expérimentaux (et intéressants, à mon avis), l'écriture nonbinaire peut aussi chercher à créer de nouvelles catégories de genres grammaticaux.

Entre autres, voici ce que la rédaction nonbinaire peut comprendre:

  • L'utilisation des doublets abrégés pour désigner une seule personne et ainsi attirer l'attention vers la nonbinarité: « Es-tu venu·e à la soirée hier ? » ou « Je suis un·e écrivain·e aspirant·e».
  • La création de néologismes pour désigner un troisième genre grammatical parapluie qui rassemblerait les genres sortant du binaire:
    — De nombreux néologismes sont créés en comprimant les deux terminaisons d'un mot pour créer une nouvelle terminaison hybride, tels  « traducteurice » ou « heureuxse ».
    — D'autres compriment les deux mots entiers pour former un nouvel hybride, tel « frœur » au lieu de frère ou sœur.
    — Il existe la possibilité de création de néologismes non hybrides/non issus de mots ou de terminaisons existants, fait très intéressant d'un point de vue créatif et inventif.
  • L'utilisation de néopronoms (tels « iel », « ille », « ol », « ellui », entre autres) ainsi que des accords non standards (« iel est heureu » — pas de x ou de se).
  • Au sujet des accords non standard, l'utilisation de æ au lieu de é·e se répand, surtout dans les réseaux sociaux. Par exemple: « je suis intriguéæ par cette idée ».
  • Mise à jour: en prenant comme inspiration certains membres de la communauté nonbinaire italienne, j'aime aussi beaucoup l'utilisation du ę pour démarquer la nonbinarité, par exemple: « je suis contentę » — un peu plus facile à lire que le æ ci-haut, sans devenant invisible non plus.

Je tiens à souligner que ce n'est pas toutes les personnes trans sortant du binaire ou fluides dans le genre ou agenres (entre autres) qui utilisent chacune ou même la totalité de ces stratégies. En effet, de nombreuses personnes trans nonbinaires préfèrent se référer par les formes grammaticales masculines ou féminines. Lorsqu'on fait référence à une personne spécifique, il est extrêmement important de se renseigner auprès de la personne pour apprendre ce qu'elle (ou iel, ou ille, ou ol, ou il, etc.) utilise.

Tout comme l’inclusion des femmes dans l'écriture n’efface pas les hommes, l’inclusion des personnes trans dont le genre sort du binaire n’efface non plus les femmes ! Les enjeux linguistiques des personnes nonbinaires (et agenres, et fluides dans le genre, et bien plus) et des femmes se rejoignent pour redéfinir ce qui est considéré un français grammaticalement « correct », et ainsi transformer le français pour le rendre plus juste et égalitaire.

Pour apprendre davantage, j'ai compilé ici une liste de ressources très utiles sur la grammaire nonbinaire que j'utilise moi-même comme référence sur ce sujet.

Une photo d'un diagramme de Venn que j'ai dessiné montrant le chevauchement de la rédaction épicène, la féminisation et la grammaire nonbinaire.
Comment je conceptualise les relations entre ces trois stratégies pour l'écriture non-sexiste.

Lorsqu'on constate qu'il existe un si grand nombre de stratégies pour lutter contre la longue histoire de l'influence du patriarcat dans la langue française, l'idée de faire recours à la décharge de responsabilité typique en haut de la page: « le masculin est employé sans discrimination pour alléger le texte » me semble triste ! Chaque nouvelle démarche de rédaction, quel que soit le contexte, mérite une approche non sexiste qui reflète la multitude des genres de personnes qui parlent—et vivent—le français.